Crédit immobilier : ce que cache le nouveau taux d’usure
La remontée du taux d’usure au quatrième trimestre 2022 va faciliter l’obtention des prêts à l’habitat. Mais avec la hausse des taux immobiliers et des critères de prêt qui s’annoncent plus stricts, l’embellie sur le crédit pourrait bien être de courte durée…
Bonne nouvelle pour les emprunteurs ! Le taux d’usure pour le quatrième trimestre 2022 remonte. Ce plafond que le taux tout compris d’un prêt immobilier (TAEG ou taux annuel effectif global) ne peut légalement pas dépasser s’établit à 3,05 % pour les crédits dont la durée est supérieure à vingt ans, contre 2,57 % pour le troisième trimestre 2022, signale la Banque de France dans un communiqué du 28 septembre 2022. Pour les emprunts d’une durée inférieure à vingt ans, le nouveau taux d’usure monte à 3,03 % au quatrième trimestre alors qu’il se chiffrait à 2,60 % au troisième trimestre 2022. « Cette augmentation, bien proportionnée et plus marquée qu’au troisième trimestre (…) permettra de régler certaines situations plus difficiles d’accès au crédit relevées ces dernières semaines » se félicite la Banque de France dans son communiqué.
Taux d’usure : définition. Le TAEG d’un crédit immobilier, qui rassemble le taux brut, l’assurance, les garanties et les frais annexes, ne peut pas dépasser un maximum légal dénommé taux d’usure.
Des taux immobiliers trop élevés pour un taux d’usure trop bas
Avec la récente envolée des taux immobiliers, le taux d’usure du troisième trimestre 2022 était trop bas, bloquant de nombreux dossiers de prêt. Explication : pour fixer le taux d’usure, la Banque de France calcule la moyenne des TAEG des prêts du trimestre précédent, un résultat qu’elle majore d’un tiers. Or ces emprunts ont été accordés bien avant. Le taux d’usure du troisième trimestre 2022 pour les crédits de plus de vingt ans (2,57 %) correspond aux TAEG des prêts signés en janvier, époque à laquelle le taux brut moyen tournait entre 1 et 1,20 %. En juillet 2022, le taux brut moyen sur vingt ans variait entre 1,80 et 2 %. En ajoutant l’assurance et les frais annexes, le seuil des 2,57 % de taux d’usure était facilement franchi, ce qui est interdit.
Une nouvelle formule pour relancer le crédit ?
Pour les courtiers et certains banquiers, il faudrait modifier le mode de calcul du taux d’usure. En période de hausse rapide des taux immobiliers, le décalage de six à sept mois minimum empêche de nombreux particuliers d’emprunter alors qu’ils étaient finançables le trimestre précédent. Les courtiers ont bien demandé une modification de la formule, mais la Banque de France, qui tient la calculette, leur a opposé un refus formel. Elle a simplement bougé quelques paramètres en « basant ses statistiques de taux sur la date de décaissement des prêts plutôt que sur la date de décision » note Olivier Lendrevie, président du courtier Cafpi. Résultat : un décalage temporel un peu moins important d’où une remontée du taux d’usure plus forte que prévu au quatrième trimestre 2022.
Hausse du taux d’usure : du mieux pour les emprunteurs
Cette augmentation du taux d’usure pour les derniers mois de l’année « devrait permettre de débloquer un certain nombre de dossiers de crédit en cours et d’appliquer les grilles de taux proposées actuellement, la plupart comprises entre 1,80 et 2,40 % sur toutes les durées, mais qui dépassaient jusqu’à maintenant les taux d’usure et menaient donc à des refus » détaille Julie Bachet, directrice générale du courtier Vousfinancer. De quoi donner une bouffée d’oxygène à de nombreux emprunteurs, notamment aux jeunes avec peu d’apport, pénalisés par des taux bruts supérieurs à la moyenne, mais aussi aux ménages de plus de 45 ans, qui paient leur assurance décès-invalidité au prix fort (rappelons qu’elle est incluse dans le TAEG).
Crédit : l’embellie va-t-elle durer ?
C’est la grande question. « Si les taux immobiliers restaient inchangés, le réajustement du taux d’usure serait de nature à débloquer la très grande majorité des situations de refus de prêt observée ces dernières semaines » estime Olivier Lendrevie. Le souci : avec des indices financiers qui remontent et des coûts de refinancement des banques qui s’envolent, les taux immobiliers vont continuer de monter, « ce qui pourrait de nouveau causer des situations de refus de prêt pour dépassement du taux d’usure d’ici quelques semaines » prévoit le président de Cafpi. Maël Bernier, directrice de la communication de Meilleurtaux.com résume : « certains dossiers vont enfin trouver un financement, mais pour combien de temps ? Trois semaines tout au plus ! »
Quel est l’impact de la hausse des taux ?
Les taux immobiliers devraient s’établir aux alentours de 2,50 % bruts toutes durées confondues en novembre, contre 2 % actuellement. « Dans l’idéal, le taux d’usure doit être supérieur d’au moins 1 % au taux brut du crédit » calcule Maël Bernier. En ajoutant à ces 2,50 % bruts l’assurance et les frais annexes, le taux d’usure sera dépassé malgré son réajustement à la hausse au quatrième trimestre 2022. Là encore, les emprunteurs modestes seront les premiers à en faire les frais. D’ailleurs, c’est déjà le cas. Aujourd’hui, un couple qui gagne 40 000 € nets par an avec 10 % d’apport, se voit appliquer un taux brut de 2,60, 2,80 voire 3 %. Des niveaux trop proches du taux d’usure. Les plus de 45 ans et leur très chère assurance de prêt ne sont pas mieux lotis.
Vers un crédit plus facile ?
Pour les prochaines semaines, les banques vont mettre les bouchées doubles pour faire passer les dossiers de prêt.Mais attention : « ce n’est pas parce que le taux d’usure remonte qu’elles vont ouvrir en grand les vannes du crédit »prévient Didier Laporte, chez Universal Broker Service. « Elles appliquent des critères stricts et demandent notamment de l’apport et de l’épargne résiduelle. Elles ont aussi tendance à privilégier les beaux profils, à qui elles peuvent accorder des décotes sur leurs barèmes officiels. » En clair : les emprunteurs standard et plus encore les profils premium pourront composer avec le taux d’usure du quatrième trimestre 2022. En revanche, les plus fragiles, ceux qui présentent le plus de risque du point de vue des prêteurs, auront sans doute plus de mal…
Crédit immobilier : durcissement programmé
En favorisant les dossiers les plus solides, les banques se placent dans la logique de sécurisation du système de financement prônée par le Haut conseil de stabilité financière (HCSF, le gendarme du crédit). Dans un communiqué du 15 septembre 2022, cette institution, au regard de la crise économique, « juge nécessaire de consolider le dispositif de prévention pour éviter un risque de retournement du cycle du crédit. » Les banques vont devoir augmenter leurs fonds propres pour compenser les éventuels défauts de paiement des crédits en cours. Pour les nouveaux prêts, elles vont resserrer leurs critères en demandant notamment davantage d’apport personnel. Le refus de la Banque de France de modifier le mode de calcul du taux d’usure pourrait relever de cette volonté de réduction des risques.
Conditions d’emprunt plus strictes : quelles conséquences ?
La prudence du HCSF ne date pas d’hier. Mi-décembre 2020, cet organisme recommande aux banques de respecter deux critères : le taux d’effort des emprunteurs ne doit pas dépasser 35 % de leurs revenus et la durée des prêts doit rester en dessous de 25 ans. Cette recommandation devient juridiquement contraignante en janvier 2022. En toute logique, les banques la respectent. Les emprunteurs, en plus des questions liées au taux d’usure, voient leurs marges de manœuvre se réduire. « Avec ce taux d’effort plafonné à 35 % des revenus, la hausse régulière des taux entraine une augmentation du montant des mensualités à budget identique, et donc une impossibilité de financer certains projets » pointe Pierre Chapon, fondateur du courtier Pretto, qui n’hésite pas à parler « d’éviction progressive » des acquéreurs.
Conseils pour rester en dessous du taux d’usure
Taux d’usure, critères HCSF : comment s’en sortir ? « Un bon moyen, c’est d’augmenter l’apport personnel » répond Cécile Roquelaure, directrice des études du courtier Empruntis. « Avec un apport plus important, le montant emprunté et/ou la durée sont moins importants, ce qui fait baisser le taux du crédit. Et puis le risque en cas d’impayés se réduit, l’emprunt ne couvrant pas toute la dette immobilière. En cas de revente avec décote, l’emprunteur pourra rembourser son dû, rassurant ainsi la banque. » Comment augmenter l’apport ? En piochant dans les économies, en débloquant la participation aux bénéfices de l’entreprise ou en faisant appel à la solidarité familiale via une donation. Le mauvais plan : prendre un crédit conso pour doper l’apport, une pratique très mal vue par les banques.
Faut-il emprunter à taux révisable ?
Autre piste : les crédits révisables. Basés sur des indices financiers à court terme, ils sont moins chers que les prêts à taux fixes du moins la première année. De quoi rester en dessous du taux d’usure. Mais attention : les révisables peuvent augmenter en période de hausse des taux. Les banques ont trouvé la parade avec des révisables capés, autrement dit plafonnés. Avec un cap de 1, un révisable à 1,50 % ne dépassera pas 2,50 %. Mais si le cap est fixé à 2, la durée et les mensualités de l’emprunteur risquent de s’envoler en cas de hausse des indices financiers. « Opter pour un prêt à taux variable nous semble peu judicieux. Ces prêts dont le taux d’intérêt n’est pas défini à l’avance font peser un risque important sur l’emprunteur » estime Ludovic Huzieux, fondateur d’Artemis Courtage.
Délégation d’assurance : un bon plan ?
Pour baisser le TAEG d’un prêt immobilier, il est aussi possible de déléguer l’assurance en choisissant un autre contrat que celui proposé par la banque prêteuse. « Cette délégation réduit le coût de l’assurance et peut permettre de ne pas dépasser le taux d’usure » explique Maël Bernier. « La banque doit donner son accord, ce qui n’est pas toujours le cas alors que la loi Lagarde de 2021 autorise cette pratique. » Mais attention : celui qui présente un bon dossier, avec de l’apport, de l’épargne résiduelle, une capacité à mettre des sous de côté pendant les remboursements, pourra plus facilement négocier avec le prêteur. « Du point de vue des banques, un emprunteur, c’est un placement. Elles peuvent lui consentir de bonnes conditions si elles savent qu’elles pourront l’équiper par la suite en services et produits financiers pour rentabiliser le prêt » conclut Didier Laporte.
Le taux d’usure n’est pas le seul critère à prendre compte pour emprunter. Pour en savoir plus, voir notre dossier Refus de crédit : les solutions.